Sauver l’héritage de Norbert Zongo
13 décembre 1998. C’était un lundi matin. Après un bon week-end passé à la maison, nous, élèves d’un collège perdu au fin fond de la brousse du Burkina Faso, nous devions rejoindre les classes. Au mois de décembre, le froid vous pénètre les os jusqu’à la moelle. Pour ce début de semaine, il ne fallait pas être en retard. Comme d’habitude, je devais me lever très tôt pour rejoindre le collège. Je parcourrais six kilomètres à pieds. J’avais couru ce jour là parce que les réveils du lundi sont généralement difficiles. Arrivé, je remarquai les professeurs en pleine discussion. Je crus à une bagarre entre eux. Je les dépassai et parvint au niveau de ma classe.
C’était un établissement de quatre classes avec approximativement 40 élèves dans chacune. Par chance, on se connaissait tous. On connaissait même le village de chacun. Mais là n’est pas l’intérêt de ce billet. Nous avions cours de français ce jour là. A 7 heures, le professeur ne vint pas. Aucun d’entre eux n’entra en classe. Nous ne comprenions pas ce qu’il se passait. Les élèves se demandaient pourquoi leurs enseignants n’étaient pas dans les salles.
Vers 8 heures 30, notre professeur d’Histoire et Géographie vint nous demander de rentrer chez nous. Il n’y avait pas cours. Nous ne comprenions rien. Je ne voulus pas rentrer immédiatement parce que je ne comprenais pas pourquoi on nous demandait de repartir. Aucune grève n’avait été annoncée. Le chef de classe qui avait approché notre professeur principal vint nous confier que Norbert Zongo était mort. C’est pour cela qu’il n’y avait pas classe. J’avais appris sa « mort accidentelle » à la radio mais je ne le connaissais pas. Il n’était ni ministre, ni Président de la république même pas président d’une institution au Burkina. Qui était-il pour qu’à sa mort nous ne fassions pas cours ce lundi 13 décembre 1998. J’avoue que j’étais énervé en apprenant cela. C’est plus tard que j’allais comprendre. Norbert Zongo était un journaliste engagé et directeur de publication du journal l’indépendant. Chaque mardi, les lecteurs se délectaient des histoires sombres, de dénonciation d’abus d’autorité etc. signées Norbert Zongo (ce qui lui a coûté la vie). Avant sa mort, Norbert Zongo enquêtait sur la disparition de David Ouédraogo, chauffeur du frère cadet du Président de la république.
Norbert Zongo parle de David Ouédraogo
Les congés de décembre sont généralement prévus pour le dernier vendredi avant noël. Pourtant ce lundi 13 décembre 1998 marquait le premier jour de congés. Ils ont duré un mois au lieu de deux semaines comme d’habitude. Cela ne put empêcher les nombreuses manifestations dans le pays.
Norbert Zongo: chaque peuple mérite ses dirigeants
Aujourd’hui, je ne suis plus dans ce village reculé du Burkina Faso où on n’avait pas accès à la télévision. J’ai eu le temps de fouiller et de comprendre ce qui s’était passé. Je savais que mon oncle, chez qui je passais mes vacances à Ouaga, aimait lire l’Indépendant, le journal de Henri Sebgo (Sebgo signifie le vent en langue mooré) qui est en réalité Norbert Zongo. C’est ce nom là que je connaissais. Au moment où j’écris ces lignes, les Burkinabè célèbrent le 12 anniversaire de l’assassinat de ce journaliste pionnier de la liberté de la presse au Burkina Faso. Les criminels courent toujours. Mais que nous reste t-il de l’héritage de Norbert Zongo ?
Norbert Zongo, la peur
Les Burkinabè ont commémoré sobrement ce 12ème anniversaire à travers un recueillement au cimetière et une conférence à la bourse du travail de Ouagadougou. Ce que je retiens grâce aux archives de ce journaliste grillé et réduit à « neuf kilogrammes de viandes », c’est sa rigueur professionnelle, son intégrité, sa témérité, son sens de l’investigation, son refus de l’injustice. Tout ceci est un patrimoine que Norbert Zongo, dit Henri Sebgo a légué. Empoissonnement, menaces, pressions etc, il a tout connu. Les journalistes doivent maintenant lutter pour préserver cette liberté de la presse.
Depuis sa mort, ils sont de plus en plus nombreux à tenter des analyses dans les différents journaux. Chose rare avant le 13 décembre 1998. Beaucoup de journalistes au Burkina écoutent Afrique Matin sur Radio France Internationale (RFI) dans l’espoir que leur(s) article(s) soient cités lors de la revue de la presse. Encore un héritage de Norbert Zongo. Malgré des initiatives pour faire oublier cette date fatidique des défenseurs des droits de l’homme, on lutte au quotidien pour continuer le combat entamé par celui qui se faisait appeler Henri Sebgo !
Norbert Zongo, les vrais hommes
Les éléments sonores sont extraits de « Les fruits d’une lutte » de Smockey et « Norbert Zongo vous parle » de Sams’ K le Jah
Commentaires