Grève à la télévision Canal 3 (Burkina), la partie cachée de l’iceberg

26 décembre 2014

Grève à la télévision Canal 3 (Burkina), la partie cachée de l’iceberg

Sur mon profil Facebook, j’ai publié un post dans lequel je m’indignais du fait qu’un agent de la télévision privée burkinabè Canal 3 affirmait qu’ils voulaient faire carrière à Canal 3 alors que le personnel exige le départ sans condition depuis le 23 décembre 2014 de la direction. Mes propos ont mal été jugés par certains qui pensaient que j’étais contre cette grève. Toute personne qui connait les conditions d’exercice du métier de journaliste au Burkina Faso ne peut être contre cette grève. Pour moi, compte tenu de la situation des journalistes au Burkina Faso et tenant compte du cas particulier de Canal 3, j’ai trouvé que c’est manqué d’ambition que de vouloir y faire sa carrière. Je sais très bien dans quelles conditions les journalistes travaillent au Burkina.

Canal 3

Les salaires indécents : Le Burkina Faso a adopté une convention collective dans laquelle sont mentionnées les conditions dans lesquelles les journalistes burkinabè doivent être traités. D’abord, cette convention est collective est dépassée par rapport à la réalité. Mais, mis à part deux ou trois médias, aucun d’entre eux ne respectent cette convention. Combien de journalistes peuvent se targuer d’empocher 100 mille francs CFA de salaire ? 100 mille francs, déjà sont des miettes lorsqu’on sait qu’un loyer, (une chambre et salon), est de 25 mille francs CFA au minimum (sans touche interne, cuisine, ni carreau). Et si on ajoute les factures d’électricités, d’eau, le carburant…

En plus, les avantages qu’offre la carte de presse en conformité avec la convention collective ne sont pas encore pris en compte. Les journalistes burkinabè ressemblent un peu plus à des mendiants, obligés de faire la course aux « gombos », (les 5 mille francs CFA et 10 mille francs CFA de perdiems que donnent certaines organisations lors de la couverture de leurs évènements). Il n’est pas rare de voir les journalistes traînés pendant plusieurs minutes après la couverture d’une cérémonie juste parce qu’ils attendent un hypothétique « gombo » de 5 mille francs CFA. Lorsque cet argent ne vient pas, certains parfois arrivent à exiger l’exiger  aux organisateurs comme si c’était un droit : il faut payer l’argent de l’essence parce que le patron n’a rien donné lorsqu’on quittait le bureau.

Les conditions précaires : En plus des bas salaires que les journalistes doivent supporter, ils se doivent aussi faire face aux manques de matériels. De nombreux médias manquant de tout jusqu’au siège. C’est au journaliste de se débrouiller pour la couverture des évènements, pour la rédaction de son article, son déplacement sur le terrain etc. Tout en réalité. Heureusement, les téléphones portables sont là pour nous sauver pour les enregistrements des voix et la prise des photos.

L’insuffisance du personnel : Dans certains médias, les journalistes sont moins de 5. Ainsi, ces derniers doivent se taper plusieurs reportages par jour et en plus de cela, animer des émissions pour ceux qui travaillent dans les radios ou la télé. La qualité du travail s’en ressent bien évidemment avec des critiques acerbes du public qui veut forcément faire une comparaison avec le professionnalisme des médias étrangers. Le journaliste dans une telle situation manque de temps pour son épanouissement. Il ne peut rien entreprendre parce qu’il est toujours occupé sur le terrain des couvertures médiatiques, la rédaction de son article etc. Lorsqu’il rentre chez lui, c’est juste pour dormir. Il n’a même plus de vie sociale. Les journalistes sont abonnés absents aux funérailles, baptême, mariage de leurs proches. Il ne faut surtout pas évoquer l’une de ces situations pour justifier une absence.

La fourberie des patrons : Pendant que les journalistes croupissent dans la misère, leurs patrons roulent dans des voitures rutilantes, dorment dans des duplex? sortent avec de belles, animent des conférences à n’en pas finir etc. Pour eux, payer décemment les employés revient à jeter de l’argent par la fenêtre. L’exigence des patrons de presse par rapport à la tâche abattue par les journalistes est disproportionnelle aux offres salariales. Des journalistes touchent parfois 30 mille francs CFA seulement de salaire ! N’est-ce pas pour cela que d’autres, au lieu de proposer des contrats en bonne et due forme, proposent plutôt des piges. On vous achète à article 1000 francs même.

Le journalisme, un dépotoir : Si les journalistes travaillent dans ces conditions, c’est en parti aussi parce que ce métier est devenu ou est un dépotoir pour ceux qui n’ont rien trouvé à faire ailleurs. Ils sont nombreux à parachuter dans le métier sans formation ni passion aucune, mais surtout parce qu’ils ont échoué ailleurs. Quand c’est ainsi, ils acceptent toutes les conditions aussi mauvaises sont-elles que leurs proposes les patrons de presse. Ce sont des propositions que d’autres ont refusé. L’on se retrouve dans un cercle vicieux car, engagé un journaliste dans un contexte s’apparente à de l’aumône. Ils estiment être redevables à leurs patrons et n’osent donc plus revendiquer quoi que ce soit. Il n’est pas rare d’entendre, parlant de journalistes passés par des écoles de formations, qu’ils font le malin. Certains patrons de presse ne se cachent même pas. Ils ne souhaitent pas engager les journalistes formés sous prétexte qu’ « ils se prennent pour des connaisseurs ». C’est ainsi que vous verrez des journalistes faire de la littérature (des dissertations) en venant vomir les petits mots appris par cœur dans le dictionnaire. Donc, si tu te vends moins cher, on t’achète moins cher.

Ceci n’est qu’une part de la partie cachée de l’iceberg des de travail des journalistes burkinabè. On pourrait prendre des heures, des lignes pour évoquer ces problèmes que connaissent les journalistes burkinabè. Il faudrait donc comprendre que le cas de Canal 3 n’est qu’une miniature de ce que vivent les journalistes burkinabè. On ne peut donc pas s’opposer à ce qu’ils revendiquent de meilleurs conditions de travaillent.

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Commentaires

Kinda
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Très belle analyse. Chapeau à toi Boukari. Tu l'as bien dit: beaucoup sont journalistes parce qu'ils ont échoué ailleurs. C'est bien dommage dans ce cas car la pulsion digestives prend le dessus. Se sentant moins que rien beaucoup ne peuvent que s'acheter moins chers. Dans ce cas, on les vend à crédit. Dommage pour ce noble métier dont le sceau est la passion!