Enterrement d’une grand-mère dans un village au Burkina
Il est 20 heures à Gassongo, village situé dans le département de Tikaré (Province du Bam) dans le nord du pays lorsque j’arrivais de Ouagadougou (environs 85 km). La concession habituellement vide de Ignan (mère, par imitation du cri des poussins) refuse du monde. L’ambiance est festive. Une troupe musicale féminine chante, tapant sur des calebasses posées sur un cousin. C’est la fête. Et pourtant, Yaaba, ma grand-mère est morte le matin même.
C’était la coutume. Quand une personne âgée s’en allait, c’était une fête. L’on fêtait son départ vers un autre monde. C’était un voyage ! On m’invita à voir son corps. Je n’avais jamais fait ça. Je n’aurai d’ailleurs jamais fait ça. Mais c’était ma grand-mère, la personne la plus importante de ma vie. Elle était couchée sur une natte, la tête rasée. On semblait dormir.
Du monde pour le dernier voyage
Plus la nuit avançait, plus la concession devenait petite. Les femmes arrivaient d’un peu partout. Certaines venues de loin avaient fait leurs affaires dès qu’elles avaient appris le décès le matin même. La musique redoublait d’intensité. Les femmes rivalisaient de créativité dans leurs chants. Elles en inventaient sur place, vantaient les qualités humaines de cette dame véritable modèle d’intégrité. Gardienne des traditions, elle a toujours joué sa partition pour le respect des coutumes ancestrales.
Dans la cour donc, chantaient, dansaient, criaient, se taquinaient. Les plateaux plats de riz circulaient de main à main, se posaient autour de groupes de femmes. Alors, un vieil homme m’appela de côté : « votre grand-mère n’a pas eu de de garçon. C’est à vous de l’honorer ». Ce qui signifie que la fête devait être grandiose. Je devais acheter du dolo (bière traditionnel), des liqueurs et aussi du café pour que ces dames se droguent. Après ça, elles pouvaient chanter jusqu’au matin. Je m’exécutais. Les femmes n’arrêtèrent pas de chanter les louanges de Yaaba que lorsque les premiers rayons de soleil transpercèrent le ciel.
L’enterrement sous la canicule
Quand le soleil installa vraiment son trône dans le ciel dégagé, elles revinrent avec des bidons d’eaux portée sur la tête où à l’aide de pousse-pousse. D’autres apportèrent du bois pour la cuisine.
L’enterrement de Yaaba était prévu pour 11 heures ce samedi 8 avril. Plus l’heure approchait, plus le monde grossissait. De villages parfois lointains, des femmes et des hommes souvent à pied, arrivèrent pour assister au dernier voyage de ma grand-mère. Ils tenaient tous à lui rendre un dernier hommage. Une heure avant, sous une forte canicule, le cercueil de Yaaba fut exposé sous un grand arbre pour le dernier hommage. De nombreux villageois se rassemblèrent autour.
Après des incantations, on demandait à des jeunes de transporter le corps au cimetière. Ils se bousculèrent. Chacun voulait raconter un jour qu’il a tenu le cercueil de ma grand-mère. « Ne vous en faites pas. Chacun pourra porter le cercueil. Il faut vous relayer », expliqua un vieil homme. Ils se mirent à chanter au son du tam-tam.
Kouma yela mè (le défunt vous parle)
Kouma yela mè (le défunt vous parle)
Kouma yela mè yaaa (le défunt vous dit)
Ti ra yondg mana biig yéééé (de ne pas faire du mal à ses enfants après son départ)…
500 mètre séparent la cour de Yaaba à sa tombe. Mais, cette distance fut parcourue en une heure. Après 50 mètres, on s’arrêtait, on chantait, on dansait, on lançait des youyous alors que les jeunes balançaient le cercueil au rythme des tambours. Généralement, les plus âgés restent à la maison. Ceux qui ne pourraient pas retenir leurs larmes n’avaient pas leur place. C’était une fête et non un deuil !
La fête continue après l’enterrement
Puis, arrivées au cimetière, les femmes rebroussent chemin. Quelques jeunes gens restent pour l’enterrement. La tombe de Yaaba, creusée la veille compte deux parties. La première partie est sous la forme d’un cercle de deux mètres environs de rayon et un mètre de profondeur. A partir de ce trou, ils creusèrent ensuite un rectangle d’environ deux mètres de longs et 50 mètres de large.
Quand le cercueil fut placé minutieusement, on le recouvrir avec des pierres avant d’y jeter la terre. C’était la fin. Je ne reverrai plus Yaaba. Mais la fête continue. On continua à manger et à boire comme si c’était à Noël ou la fête de tabaski. Enfin, toute la nuit la troupe de danse du village dansa tout en buvant les nombreuses bouteilles de liqueur, de dolo et aussi du café.
Commentaires